Une des composantes de la posture d’adulte est l’autorité intérieure. Cette capacité à prendre des engagements envers soi-même et s’y tenir. Si nos facettes plus enfantines ont tendance à se positionner par rapport aux règles — en les suivant ou en s’y opposant — l’adulte est celui qui les fixe.
Ces mécanismes n’étant pas toujours pleinement conscients, le psychologue Eudes Séméria propose un exercice intéressant pour contacter cet aspect de notre adulte intérieur et le renforcer. C’est très simple, mais bien plus subtil que ça en a l’air.
S’engager à traverser la rue au feu vert (pour les piétons).
Traverser la rue. Il n’y a rien de plus commun. Tellement commun qu’on le remarque à peine. Pourtant, ça soulève un tas de questions.
Si j’ai pris l’habitude de passer au feu vert, pourquoi et pour qui je le fais ?
Si au contraire, je me fais un point d’honneur à passer quand je veux, ça part de quel endroit chez moi ?
Est-ce que je relie la signalisation à une autorité extérieure ou intérieure ?
Est-ce que c’est une posture de souveraineté ou de soumission ?
D’engagement ou de laxisme ? Etc…
Tout ça m’intriguait alors j’ai testé. J’ai posé l’engagement envers moi-même de ne passer qu’au feu vert pendant un mois. Comme l’expérience touche à sa fin, je vous livre mes observations et réalisations.
1. Un état des lieux de mon autorité intérieure
Le choix de fixer une telle règle vient réveiller différentes parts de moi, souvent anciennes, dont certaines vont attaquer le cadre. Jauger de ma capacité à le tenir malgré tout m’en apprend beaucoup sur mon adulte intérieur. Sur sa force, et sur ses endroits en cours de consolidation.
La pression du conformisme
La plupart des gens se foutent de la signalisation. Ils passent lorsqu’il n’y a pas de voiture à l’approche. Je suis donc souvent le seul à attendre, ce qui peut réveiller chez moi une pression de “suivre le mouvement”. J’ai même parfois une jambe qui esquisse un début de pas. Moi qui aime bien me moquer des effets moutonniers, il semblerait que j’aie un peu de ça en moi aussi.
Le poids des regards
L’autre jour je me suis arrêté au feu rouge juste devant une terrasse pleine à craquer. Tous les marcheurs traversaient sauf moi. A ce moment-là, j’ai perçu le besoin de me donner une contenance. Celui que je comblais inconsciemment avec la clope à une époque, quand je me retrouvais dans un lieu public sans personne à qui parler. Ici ce n’était qu’un résidu, très conscient et facile à laisser passer. A d’autres moments, c’était plus compliqué. Je me souviens avoir sorti mon téléphone plus d’une fois, et même scruter les alentours d’un air perdu pour faire semblant de chercher ma direction 🙂
La peur de décevoir
Tout devient plus compliqué quand je me balade avec quelqu’un. A la première occasion, mon compagnon de route va traverser naturellement au rouge. Ce qui me laisse face à un choix : est-ce que je tiens mon cadre ou est-ce que je me laisser embarquer par ma peur d’ennuyer l’autre ? Quand c’est quelqu’un de proche, j’explique ma démarche et je tiens mon cadre, même si la pression est là. Quand ce sont des gens que je connais peu, ce sera plus difficile. Surtout si j’ai envie d’être bien perçu d’eux. Cette semaine par exemple, je marchais avec deux personnes fraichement rencontrées et j’ai traversé au rouge comme si de rien n’était.
L’élan anti-conformiste
Cette énergie-là va dans le sens de mon cadre. Il arrive qu’elle me soutienne dans ma démarche d’attendre le feu vert, mais c’est un piège. Lorsque je l’écoute, je ne suis plus dans mon autorité intérieure. Je suis avec une part réactionnelle qui s’amuse à faire de la provoc. L’adulte et elle partagent ici la même stratégie, mais l’origine est très différente. Face un cadre plus “conforme”, cette part me donnerait sans doute du fil à retordre.
Un ancrage fort
J’ai eu une bonne surprise. Dans ces moments de solitude immobile devant un feu rouge, je m’attendais à ressentir une forme de peur du vide. Je constate au contraire une grande facilité à rester présent à moi-même, ce qui me permet d’ailleurs d’observer tout ce que je viens de décrire plus haut. Qui plus est, j’observe toutes ces parts sans les juger. Sans leur en vouloir. Sans m’en vouloir non plus de parfois succomber à leurs attaques. Clairement je n’aime pas quand ça arrive, ça tiraille, mais je sais au fond que leur voix m’aide à me découvrir plus adulte chaque jour.
2. Plus adulte (et souverain) chaque jour
On vient de voir que l’exercice est précieux pour gagner en conscience de soi, mais il contribue aussi de façon évidente à consolider mon autorité intérieure. Chaque fois que je tiens mon cadre face à la réaction d’une de mes parts, je me sens me renforcer et m’ancrer davantage. Avec quelques réalisations à la clé que je trouve intéressant de partager.
L’adulte ne connaît pas de cadre purement extérieur
Traverser au feu vert “parce que c’est la loi” n’est pas un acte adulte. Traverser n’importe comment “parce que la loi est débile” n’est pas un acte adulte. L’adulte considère les règles qui lui sont proposées et trouve un moyen de les faire siennes. Il choisit de les suivre en conscience, en les mettant à son service. La règle extérieure n’est ni un absolu, ni un outil de justification. C’est un appui qui permet de se positionner, de se connaître, de trouver son mouvement. Sa responsabilité. Parfois son apaisement.
Une règle mise à mon service n’est jamais stupide
Beaucoup de feus pour piétons régulent des chaussées d’1m50 de large. Ca prend moins d’une seconde à traverser. Je pourrais presque sauter d’un bond sur le trottoir d’en face. Ca fait vraiment bizarre d’attendre face à ce genre de feu quand il n’y a pas de circulation. Pour autant, c’est nourrissant de tenir mon cadre malgré tout. Parce que je vois tout ce que ça me fait vivre en coulisses, et à quel point ça m’aide à grandir.
Cadrer c’est libérer
A la base de toute transformation, il y a la capacité à voir et à nommer. Aujourd’hui, chaque nouveau feu rouge est une opportunité de faire exactement ça : voir une ou plusieurs de mes parts et les nommer. Ainsi elles ne prennent plus le contrôle de manière sauvage. Non seulement ça, mais les regarder s’exprimer me permet d’écouter leur message, de ressentir pleinement les tensions qu’elles diffusent dans mon corps, jusqu’à (parfois) m’en libérer. Chaque fois que je reste présent au stress du regard des passants, sans succomber à la stratégie de me donner une contenance, une de mes parts trouve un peu plus de paix. Et l’adulte prend un peu plus de place.
Un cadre auto-fixé n’est pas forcément une affaire d’adulte
Cette expérience du feu vert a fait remonter un vieux dossier. Il y a plus de dix ans, je cadrais de façon compulsive. A tel point que ma vie était devenue un fichier excel. Minutée, ultra-productive, trop remplie… et surtout totalement coupée de mes élans intérieurs. Ca m’a conduit droit dans le mur. Aujourd’hui je peux voir d’où partait ce cadre : un enfant qui a peur de décevoir. Ce n’était pas envers moi que j’étais engagé. J’obéissais. Alors d’où part réellement le cadre que je me pose ? Mon autorité intérieure, ou une autorité extérieure ? C’est peut-être la première question à se poser.
Autorité intérieure et extérieure se répondent
C’est un point majeur et je terminerai là-dessus. Je n’ai rien connu de plus “légitimant” face aux autres que de tenir cet engagement intérieur de traverser au feu vert. Plus je respecte mon choix d’attendre, sans céder aux différentes parts qui s’activent en moi, plus je me sens légitime à traverser quand c’est mon tour. Plus je me sens légitime tout court à vrai dire. Ma capacité à poser et tenir mon cadre dans mes relations aux autres — professionnelles et personnelles — s’est considérablement renforcée ces derniers temps. C’est de plus en plus naturel et ancré. L’exercice du feu vert est peut-être un facteur parmi d’autres dans un mouvement de vie beaucoup plus vaste, mais sa contribution à ce mouvement est indéniable.
Voir dans la règle extérieure une opportunité de s’engager envers soi. Voilà une démarche que je trouve extrêmement libérante. Responsabilisante. Légitimante. La façon dont je le vis parle uniquement de moi bien sûr. De la force de mon autorité intérieure aujourd’hui, et de son chemin de consolidation. J’en ressors plus adulte. Et je ne vais pas m’arrêter là. Maintenant que j’ai un moyen simple d’entrer en contact de façon consciente avec certaines de mes parts, et d’apprendre à les canaliser tout en accompagnant leur apaisement, j’ai envie de l’utiliser.
Mais je suis aussi très curieux de découvrir comment ça peut être vécu par d’autres que moi. Si vous choisissez de vous engager là-dedans, je serais ravi d’en savoir plus sur votre chemin et vos réalisations.
Par ailleurs, je suis persuadé de la puissance de cet exercice à titre individuel mais aussi collectif. J’ai rencontré tellement de managers qui disaient vouloir responsabiliser leurs équipes. De parents qui disaient vouloir responsabiliser leurs enfants. Si ces gens s’engageaient à traverser au feu vert, je me demande bien quel adulte ils trouveraient à l’intérieur. Et quel impact cette découverte aurait sur leurs équipes et leur famille.