Mindhunter (c) Netflix Original Series 2019
Bill : Il paraît que Nixon est un sociopathe.
Holden : C’est fou. Comment tu fais pour être président des Etats-Unis quand tu es sociopathe ?
Wendy : La vraie question c’est “comment tu fais pour être président des Etats-Unis sans en être un ?”.
(Dialogue tiré de la série Mindhunter)
En mars dernier, j’entendais Philippe Poutou réclamer un débat entre les 12 candidats à la présidentielle “plutôt que les numéros de claquettes des uns et autres”. J’ai fait pause une seconde. Le débat politique comme alternative sérieuse à un numéro de claquettes ? Soyons sérieux…
Jusqu’à aujourd’hui, ce que j’ai pu observer des débats entre candidats relève de la confrontation. Qui plus est, une confrontation de forme bien plus que de fond. Il s’agit pour chacun(e) de dominer la conversation. En grappillant le plus de temps de parole possible, en contournant de façon plus ou moins habile les questions posées, et si on peut défoncer les autres au passage c’est encore mieux. On y parle souvent de tout sauf des programmes au final.
Je n’ai jamais vu autre chose dans un débat politique qu’un gigantesque numéro de claquettes collectif, durant lequel les candidats sont évalués sur des traits de comportements qui, personnellement, me font flipper.
Est-ce que c’est ça qu’on a envie de promouvoir à la tête d’un pays ?
Maintenant, si je leur accorde le bénéfice du doute, je peux me raconter que les candidats sont encouragés par nous — le public, le “système” — à montrer les parts les plus toxiques d’eux-mêmes. Parce que c’est facile à observer, à valoriser, et à utiliser comme critères de choix. Et que peut-être, avec un dispositif adapté — une vraie alternative pour le coup — ils pourraient montrer d’autres facettes, d’autres qualités, et me surprendre.
Ce dont j’ai envie moi, pour retrouver un minimum d’engagement dans le sujet politique, c’est de sentir que je promeus des qualités humaines : l’écoute, l’empathie, la capacité à se mettre au service de plus grand que soi, la coopération… L’exact opposé de ce que j’observe dans un débat politique.
J’avais donc cette idée un peu folle qu’au lieu d’inviter les candidats autour d’une table pour les regarder s’entretuer, on les invite à coopérer.
Ce format diffèrerait du débat en trois grands points au moins, qui devraient faire l’objet d’un engagement formel par l’ensemble des candidats.
(1) L’intention serait de poursuivre une forme de réponse collective à une question donnée.
(2) La discussion devrait respecter des principes qui favorisent l’intelligence collective comme :
(3) Le cadre serait tenu par une équipe de facilitateurs professionnels capables de la plus totale impartialité dans un tel contexte.
Quant au processus proposé, il devrait tenir compte de trois contraintes.
D’une part, la nécessité pour le public d’avoir un accès direct à l’ensemble des conversations. D’autre part, la présence autour de la table de visions du monde, d’opinions et d’intérêts à priori extrêmement éloignés. Enfin, le décalage radical entre ce cadre de coopération et ce que les candidats ont l’habitude de pratiquer dans un contexte de campagne électorale.
Comment favoriser une intention de coopération entre des candidats qui ont voué toute leur campagne à élaborer un discours différenciant et à discréditer celui des autres ? Je crois dans le pouvoir du diagnostic partagé, le niveau d’intention collective le plus basique et en même temps, la première pierre essentielle à tout travail de co-construction.
Voilà comment ça peut se dérouler.
Les candidats sont assis en cercle, sans table au centre. Chaque prise de parole est adressée au cercle et donc, rendue accessible au public. Un sujet de société clé est tiré au sort (à l’image des interviews face cachée d’Hugodécrypte par exemple) : la pauvreté en France, l’abstentionnisme politique, le rapport du GIEC… on n’a que l’embarras du choix.
La consigne est d’explorer ensemble le sujet par le prisme le plus neutre : celui du purement factuel. Les participants sont invités à partager des faits et des chiffres provenant de sources sérieuses et non-partisanes. Ils devront le faire depuis l’intention de comprendre et d’informer, pas de convaincre. Toute interprétation est interdite à ce stade.
Une fois les faits récoltés, on vérifie le niveau d’adhésion du groupe avec un outil de vote graduel (“sur une échelle de 0 à 5, à quel point adhérez-vous aux faits partagés par le groupe ?”). Tant que tout le monde n’est pas au moins à 3, on creuse les doutes et désaccords avec l’aide du cercle.
Les douze candidats sont maintenant capables de regarder ensemble un sujet de société dont les contours sont partagés par tous.
Franchement, c’est déjà précieux. Et on pourrait presque s’arrêter là. Mais c’est aussi un beau point d’appui pour inviter maintenant à l’interprétation.
Ici on souhaite inviter les perspectives dans toute leur richesse, sans les opposer. On veut leur laisser de l’espace, les comprendre et les mettre au service du sujet. Cette seconde séquence peut s’articuler en trois temps.
(1) Un premier tour de cercle (dont le sens est tiré au sort) durant lequel chacun va proposer son regard personnel sur le diagnostic partagé. Les temps de parole sont rigoureusement équivalents, avec une clôture stricte à la fin du temps accordé (même en milieu de phrase).
(2) Sur la base de tout ce qui a été dit, le groupe est invité à nommer les éventuels points communs. Qu’est-ce qui relie vos partages ?
(3) Un second et dernier tour de cercle (même cadre que le précédent) peut permettre à chacun d’aller un peu plus loin dans son partage, en explorant ce qui a changé après avoir entendu les autres perspectives, avant de poser une ou plusieurs propositions au service du sujet.
On sort de cette séquence avec une idée claire des perspectives de chacun, ce qui les différencie mais aussi, ce qui les unit.
J’ai bien conscience du grand écart entre ce processus et la façon dont une campagne présidentielle se mène aujourd’hui. Je trouve même ça carrément naïf. Et c’est justement ça que je trouve intéressant.
Peut-être pour la première fois, chaque candidat pourrait à la fois partager ses idées à fond, entendre celles des autres, et montrer autre chose que ce que nous avons l’habitude de voir : une capacité à coopérer au bénéfice de plus grand que soi.
Pour le public, l’avantage serait multiple aussi : récolter des informations fiables sur un sujet de fond, découvrir les politiques dans leur humanité, mettre leur vote au service du collectif plus que d’un candidat…
Au final, que ce processus spécifique soit praticable ou non, j’aime l’intention qui le porte. Je vois un vrai intérêt à créer une rupture avec les réflexes automatiques depuis lesquels nous sommes gouvernés. Depuis lesquels nous votons, aussi. Et si en prime, on sort avec l’esquisse d’une politique d’utilité publique sur un sujet clé, co-créée par les personnes supposées être les mieux placées pour représenter les français, qui va s’en plaindre ?
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