Comment mesurer une transformation, éclairer les non-dits et enrichir un projet à l’aide du photolangage.
Vous avez sans doute entendu parler des “entreprises à Mission”. Ces organisations qui savent être lucratives tout en oeuvrant pour quelque chose de plus grand que leur seule rentabilité. On trouve en elles un mélange assumé entre l’engagement de l’ONG et le pragmatisme de l’entreprise.
Certains qualifient cette démarche de naïve. D’autres y voient une mode sur laquelle surfer pour rester compétitifs. D’autres encore, dont je fais partie, y perçoivent une alternative naturelle et sérieuse au modèle capitaliste.
C’est ce dernier groupe que j’ai envie d’aider aujourd’hui. Les utopistes pragmatiques. Ceux et celles qui croient que la rentabilité est une donnée nécessaire mais non suffisante pour justifier l’existence d’une entreprise, et qui se questionnent sur le “rôle supérieur” de la leur.
Cet article a pour intention de vous accompagner dans la recherche de ce “rôle supérieur”.
Je vais procéder en trois temps. D’abord je vous proposerai une courte définition de ce qu’est une Mission d’entreprise, illustrée par deux exemples. Puis j’évoquerai les grands principes qui doivent guider selon moi sa recherche. Enfin je partagerai avec vous une trame d’atelier que j’ai conçue et adaptée au fil du temps pour faciliter l’émergence d’une Mission.
C’est parti !
Quand j’accompagne une recherche de Mission, j’aide une équipe à sentir quel impact positif elle souhaite avoir sur le monde.
Une Mission se traduit par l’impact positif qu’une organisation souhaite avoir sur le monde.
Comme tout but commun, son rôle consiste à mobiliser et diriger l’énergie collective dans une même direction. Elle est le socle de la collaboration. Le repère au service duquel vous mettez tous vos produits et services, toutes vos décisions, toutes vos pratiques, tous vos recrutements…
En voici deux exemples, dont j’ai eu la chance de faciliter l’émergence :
“Cultiver un environnement qui accueille chacun tel qu’il est, lui offre la possibilité de se réaliser, et permet à tous de mieux vivre ensemble.” Ecole Montessori Bilingue d’Andresy
“Inspirer et accompagner les hommes et les femmes à co-construire leurs destins collectifs porteurs de sens.” Formapart, Facilitateurs de transformations sociétales
A la différence d’une intention corporate plus classique — comme “devenir le leader incontesté sur notre marché” — ces deux Missions ont du sens pour chaque collaborateur, et pas uniquement pour les top dirigeants et actionnaires. Avec tous les avantages que ça comporte sur le plan de la motivation, de la cohésion et de la performance collective notamment.
Mais pour arriver à cela, une jolie phrase ne suffit pas. Encore faut-il que la Mission soit la bonne, et bien sûr qu’elle soit 100% authentique.
S’engager sur ce chemin par opportunisme est le meilleur moyen de s’assurer que les avantages ne se manifestent jamais. La juste Mission résonne avec les aspirations profondes de chacun. Elle se suffit à elle-même. Les avantages ne sont qu’un bénéfice collatéral de cette résonance profonde.
C’est la force de mes deux exemples : l’endroit d’où ils proviennent, et le chemin parcouru pour les révéler. La suite de cet article a pour but de vous aider à invoquer cette même force dans votre processus de recherche.
Pour que la recherche de votre Mission soit juste et authentique, voici sept grands principes que vous pouvez gagner à respecter selon moi :
1. Un processus intérieur : Le rôle de la Mission est d’invoquer l’énergie naturelle. Pour cela, elle doit prendre racine dans les forces, les valeurs, les aspirations de l’équipe elle-même, sans s’occuper des attentes extérieures [clients, actionnaires, partenaires…]. C’est en ce point qu’elle diffère de la « raison d’être », qui répond à la question inclusive « que manquerait-il au monde si notre entreprise n’existait pas ? ».
2. Au service de l’extérieur : C’est là tout le paradoxe d’une mission. Mettre notre énergie intérieure au service du monde, sans tenir compte des attentes explicites du monde. On ne définit pas une mission pour trouver des clients. Ni pour faire plaisir. Ce sont les clients qui nous trouvent car ils résonnent avec la mission que l’on s’est fixée. Ils deviennent alors à la fois bénéficiaires et partenaires de la poursuite de cette mission.
3. Dans l’émergence : Impossible d’invoquer l’énergie naturelle des personnes en leur imposant quoi que ce soit. Ce qu’on cherche ici, c’est la vibration. Vous savez que vous tenez votre mission quand chaque membre de l’équipe se sent vibrer d’excitation à sa seule lecture. Cette vibration vient certes de la mission elle-même, mais également du fait que chacun se sente acteur et partie prenante du processus d’émergence. 100% des entreprises que j’ai accompagnées m’ont fait ce même retour.
4. Impossible à atteindre : Nos réserves d’énergie naturelle n’ont pour limite que celles que l’on se fixe. Plus la mission résonne avec nos aspirations, plus sa poursuite nous remplit d’énergie au lieu de la consommer. Par ailleurs, plus elle nous semble lointaine et hors de portée, plus la résonance s’intensifie. Alors pourquoi se restreindre ? A quoi bon se mettre au service d’un objectif qui pourrait être atteint en trois ou quatre ans. N’ayons pas peur de l’inaccessible. Il nous donne des ailes.
5. Générative : On dit souvent que la lutte contre un ennemi commun crée la collaboration. Il est vrai que la colère peut être une source valide de motivation. Mais elle contribue aussi à perpétuer le cycle de la violence. Alors attachons-nous à trouver les forces de vie que nous voulons encourager, plutôt que les forces de destruction que nous voulons combattre. Oeuvrons pour la prospérité, plutôt que contre la pauvreté. Pour le pouvoir du peuple, plutôt que contre ses représentants.
6. En paix avec le profit : Celui-ci est central. L’émergence d’une Mission repose sur une conviction profonde et partagée : l’entreprise doit gagner de l’argent pour vivre et oeuvrer, mais la finalité de l’entreprise n’est pas de gagner de l’argent. Exactement comme l’oxygène, le profit est un carburant. Si au sein de votre équipe, il reste une once d’incrédulité sur ce point, le travail est biaisé. Et les intérêts individuels reprendront le dessus.
7. Collaboratif à tous niveaux : Là où la poursuite aveugle du profit est une démarche qui par essence divise — chacun prenant d’abord soin de sa propre part du gâteau — la quête d’un impact positif inspire la collaboration. Entre la tête, le coeur et le corps de chaque collaborateur. Entre les équipes, départements et niveaux hiérarchiques de l’organisation. Jusqu’aux parties prenantes externes qui y trouvent du sens. Une mission vous encourage à voir au moins certains de vos concurrents comme vos alliés.
“ Lorsque les intérêts individuels se mettent à primer sur les intérêts collectifs, c’est la mort du système.” Donnella Meadows
Si la lecture de ces sept principes a des airs d’évidence, ou du moins fait résonner quelque chose en vous et vos collaborateurs, votre organisation est sans doute prête à laisser émerger sa Mission 🙂
J’ai conçu cet atelier pour de petites entreprises de 15 personnes maximum, dont les deux évoquées plus haut. Mais il peut facilement être adapté pour des assemblées de plus grande taille.
Par ailleurs, les entreprises en question souhaitaient traiter l’émergence de leur Mission comme une décision collaborative. Ca signifie que la parole de chacun a le même poids dans la décision, et donc qu’aucune instance, dirigeante ou autre, n’a le droit de la modifier à postériori. L’objectif est que la Mission soit validée officiellement en sortant de la pièce.
C’est ce qui fait toute la délicatesse de la démarche.
Plus que jamais, la recherche d’une Mission implique à la fois le respect des motivations individuelles et celui de l’énergie collective. C’est une danse subtile entre les convictions personnelles et le lâcher prise. Deux forces qui peuvent vite se polariser si on ne les traite pas de la bonne façon. Sur le fond, comme sur la forme.
Ce processus collaboratif est donc construit pour une convergence sans douleur. Il se déroule en trois étapes dont aucune ne laisse place au débat. L’idée est plutôt de partir de ce qui rassemble, pour invoquer et conserver un esprit de communion tout au long du travail.
Avant de diriger l’énergie collective quelque part, commençons par laisser cette énergie se manifester. L’idée ici est de déterminer le socle dans lequel vous pouvez ancrer votre envie d’impact. Bien sûr, dans l’esprit du principe génératif évoqué plus haut, ce socle doit être positif. Pas de « lutte contre ». Trouvez les plus belles forces de vie que votre collectif contient en lui, et « faites avec » !!
Pour cette première phase, je m’inspire de la méthode appréciative, en utilisant le pouvoir des histoires.
Concrètement, les participants forment des binômes et doivent à tour de rôle répondre à ces trois questions :
1. Raconte-moi une expérience professionnelle positive, ici, dans notre entreprise, où tu t’es senti pleinement engagé. Le temps s’est arrêté et plus rien d’autre ne comptait. Je veux connaître tous les détails.
2. Qu’est-ce que tu as mis en oeuvre pour que ça se passe aussi bien ? Quelles ressources personnelles as-tu utilisé ?
3. Qu’est-ce qui t’a fait plaisir pendant cette expérience ?
Les participants se réunissent ensuite pour une phase de partage en équipe. Chacun va raconter avec ses mots l’histoire de son binôme. Un scribe note toutes les réponses aux deux dernières questions sur un paperboard, organisées en deux colonnes. La première fait état des ressources utilisées par l’équipe — ses forces — quand elle est à son meilleur niveau. La seconde parle de ses motivations profondes.
La méthode appréciative nomme le contenu de ces deux colonnes le noyau positif. Ce dernier permet à l’équipe de prendre conscience de — et confiance en — toute la belle énergie qui la constitue, et qu’elle va pouvoir mettre au service d’un impact tout aussi positif.
Maintenant que l’énergie collective est palpable, il s’agit de définir au nom de quoi la mobiliser : un sens partagé.
Après avoir pris quelques minutes pour relire, manipuler, ressentir le contenu du noyau positif, les participants vont pouvoir rêver grand, grâce à un exercice de visualisation. Ils vont construire ensemble ce qu’on appelle une Vision, une projection collective du monde qu’ils ont envie de créer :
“Fermez les yeux. Vous êtes en 2050. Pendant 30 ans, votre entreprise a oeuvré à son meilleur niveau, au service d’un impact positif sur le monde. Pas un jour ne s’est écoulé sans que vous fassiez pleinement usage de vos forces et motivations profondes. Sans surprise, vous avez cartonné. Grâce à vous, le monde a changé. Décrivez en un dessin ce nouveau monde que vous avez contribué à créer.”
Cette phase se déroule en trois temps. D’abord un temps de création individuelle, puis une mise en commun en sous-groupes, dont l’objectif est de tomber d’accord sur une même représentation. Le dernier temps poursuit un objectif similaire, mais en grand groupe. Il est donc un peu plus délicat.
J’aime le faciliter en utilisant le “cercle consensuel”, qui devrait plutôt se nommer “cercle consenti”. Vous allez comprendre pourquoi.
Tous les dessins de la phase 2 sont d’abord disposés sur le sol. Chaque sous-groupe présente le sien et répond aux éventuelles questions de clarification. Puis chaque participant va se positionner physiquement à côté de l’oeuvre qui lui parle le plus. Celle qui remporte la plus grande adhésion va servir de base à la discussion en grand groupe.
Je demande ensuite aux participants de partager leur niveau d’adhésion au dessin avec un nombre de doigts, où “cinq doigts levés” signifie adhésion totale et “zéro doigt levé”[ou poing fermé] signifie opposition totale. “Trois doigts levés” représente le niveau de consentement : “ce n’est pas parfait, mais je peux vivre avec.”
Tout ceux qui se situent en dessous de ce niveau font part d’une ou plusieurs objections qu’il va falloir traiter, en modifiant méthodiquement le dessin à l’aide des remarques de l’équipe jusqu’à ce que tout le monde ait au minimum « trois doigts levés ».
Cela dit, comme l’intention ici est de réunir l’équipe autour d’un rêve partagé, je recommande vivement de viser au moins “quatre doigts levés”.
Une fois le consentement atteint, et si les conditions le permettent, j’aime bien finir cette phase en proposant à l’équipe de reproduire son dessin à plusieurs mains sur un mur, et d’y ajouter un nuage de mots récoltés à la volée.
A ce stade, le collectif connaît son point de départ et le sens dans lequel il souhaite se diriger. Il ne lui reste plus maintenant qu’à choisir son chemin.
C’est le moment d’entrer dans le vif du sujet : la Mission de l’entreprise. Je vous propose de vous appuyer sur la question suivante :
Quel rôle votre entreprise, pleinement munie de ses forces et motivations profondes, a-t-elle joué dans la création de ce monde du futur ?
Si cette question peut paraître simple, aboutir à une réponse collective l’est un peu moins. L’équipe doit converger sur une Mission qui fait vibrer chacun de ses membres. Qui les met en mouvement, leur donne le sourire et les remplit d’énergie. Profondément et durablement. Il peut d’ailleurs être bon de commencer par s’aligner sur les critères qui feront une bonne Mission pour l’équipe, ainsi que sur la notion de “vibration”.
Quels que soient vos critères, le fond et la forme seront tous deux cruciaux pour provoquer une vibration. Et c’est là que ça se complique 🙂
Le fond peut émerger relativement naturellement à ce stade, mais tomber d’accord sur la forme est une toute autre histoire. Chaque collaborateur possède son propre champ symbolique qui fait que le poids et le sens des mots peuvent varier fortement d’une personne à une autre.
Pour faciliter cette discussion, j’utilise généralement la gestion par consentement, pratique sociocratique de co-décision qui consiste à rechercher collectivement une solution à laquelle personne ne dit non [à la différence du consensus, où tout le monde doit dire « oui »].
Dans les grandes lignes, on commence par deux tours de parole consécutifs qui permettent de prendre le pouls de l’équipe. Sur cette base, un[e] volontaire va rédiger avec mon aide une proposition de Mission. Bien sûr, il ne s’agit pas là de mettre en avant son propre point de vue, mais plutôt de proposer un reflet de ce qui a envie d’émerger au coeur de l’équipe. La dite proposition est ensuite soumise à un tour d’objections.
Avoir une objection consiste habituellement à percevoir un risque pour l’équipe à aller dans le sens de la proposition. Mais quand on parle de Mission, la non-vibration individuelle est une raison suffisante pour objecter, car elle implique à terme un risque pour l’équipe. D’où l’intérêt de vous aligner au préalable sur ce que signifie “vibrer” pour vous.
Sachant cela, chaque objection sera traitée ensemble méticuleusement, jusqu’à ce qu’il n’en reste plus aucune.
C’est là le point de convergence. Vous tenez votre Mission. Vous pouvez maintenant célébrer 🙂
Si vous êtes resté[e] jusqu’ici, vous avez probablement la forte intuition que votre entreprise est animée par quelque chose de plus grand qu’elle-même. Ou peut-être que vous voulez créer votre propre “entreprise à Mission”.
L’atelier et les principes qui le sous-tendent devraient vous permettre de trouver le juste contexte pour amorcer une démarche d’introspection collective, et gagner votre vie en ayant un impact positif sur le monde.
Bien sûr, cet atelier n’est qu’une trame, que j’adapte toujours — voire dont je me détache — pour rester au plus proche du contexte de l’entreprise que j’accompagne. Je vous suggère donc de l’utiliser comme une source d’inspiration et d’expérimentation, plus que comme une valeur absolue.
Par ailleurs, étant donné la nature structurante de la décision, je déconseille de confier la facilitation du processus à un membre de l’équipe. L’accompagnement par quelqu’un de neutre me semble essentiel pour préserver le juste équilibre entre les intérêts individuels et collectifs.
Enfin, apprêtez-vous à ce que ce travail renforce considérablement votre lien d’équipe, et vous ouvre des portes insoupçonnées. C’est ce qui se passe quand on choisit de laisser s’exprimer pleinement la vie qui bouillonne en nous.
Merci de m’avoir lu. Et belle recherche collective 🙂
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