Une analyse psychologique de la série The Flight Attendant (saison 1) et du chemin de guérison intérieure de son personnage principal.
(c) Claudio Schwarz
“Est-ce que tu aides à arrêter de fumer ?” C’est la première fois qu’on me pose cette question. C’était il y a quelques jours. En tant qu’ancien fumeur qui ai arrêté de façon naturelle, sans douleur ni rechute il y a des années, j’ai toujours plein de choses à dire sur le sujet clope. Aujourd’hui j’ai envie d‘y ajouter ma perspective de coach, et de considérer comment je peux aider depuis cette posture. Merci pour la question donc.
Fumer sans réussir à s’arrêter, c’est une addiction. Et comme toutes les addictions, c’est une conséquence. Pas une cause. Une conséquence de quoi ? De nos traumas d’enfance, de nos émotions enfouies, d’une réalité intérieure dont on préfère inconsciemment détourner le regard.
C’est la principale fonction de la clope. Détourner le regard.
A un moment, la personne se rend compte que fumer apaise un inconfort. Alors elle continue. Trouvant ainsi, bien que de façon artificielle et très éphémère, une sensation d’équilibre intérieur.
Le problème de cette stratégie, au-delà de sa toxicité, c’est qu’elle est principalement inconsciente. Nombre de fumeurs marchent d’un pas stable sans savoir qu’ils s’aident d’une béquille. Ce qui prive la béquille de sa fonction première : soutenir un processus de guérison.
La clope addictive ne fait que camoufler l’inconfort. Mais elle le fait si bien qu’on en oublie qu’il y a quelque chose à guérir. Jusqu’à la première tentative de sevrage.
Se forcer à arrêter, comme tellement de gens le font, revient en fait à lâcher la béquille d’un coup sans y être préparé. Alors on chute. Puis on se rattrape à ce qu’on peut. En se précipitant à nouveau sur la béquille. En y pensant H24. Ou en compensant avec ce qu’on trouve.
Bien sûr, parfois c’est utile de se forcer. En stade 2 d’un cancer de la gorge par exemple. Justement parce que la survie physique est directement menacée. Alors à choisir entre une menace concrète et directe ou une menace latente et semi-consciente, on préfère arrêter de fumer.
Mais la cause, elle, subsiste.
Elle subsistera tant qu’on continuera à confondre cause et conséquence, en blâmant la substance, ou les publicitaires des années 50, ou que sais-je.
Plus on place la responsabilité de l’addiction loin de soi, plus on se prive de notre pouvoir de guérison. Et si se considérer victime est souvent une étape nécessaire, ça doit rester une étape. La suite du chemin consiste à rassembler le courage d’aller regarder en soi. Et de se faire face.
Quelqu’un qui sait se faire face ne développera pas d’addiction. Quelqu’un qui apprend à se faire face arrêtera de fumer sans effort.
Réponse courte : en le décidant, mais sans me forcer.
Réponse moins courte : j’ai fumé pendant 15 ans. Cinq à six clopes par jour en moyenne. Pas un énorme fumeur donc. J’étais de ces gens qui ne peuvent pas fumer en période de crève. Alors à chaque rhume j’arrêtais, parfois pendant deux semaines. Puis je reprenais, sans vraiment comprendre pourquoi. Sur les dernières années, je me racontais que c’était identitaire. Une stratégie pour me donner une contenance en soirée aussi. Mais savoir ça ne m’aidait pas. Le fait de fumer peu non plus d’ailleurs. “A quoi bon arrêter pour si peu ?”, je me disais parfois.
Je n’avais pas pris la décision. Tout simplement.
Un peu avant mes 28 ans, j’ai débuté une thérapie pour de toutes autres raisons. A vrai dire, le sujet de la clope n’est jamais sorti une seule fois en séance. Ce n’était vraiment pas le propos.
A la base je voulais juste aller mieux.
Partie du processus consistait à aller explorer certains traumas d’enfance, et les émotions associées que j’avais bloquées. Ces émotions, je m’étais soigneusement construit autour. Et je continuais inconsciemment de les éviter. Le processus thérapeutique m’aidait méthodiquement à les voir, à aller à leur contact, puis à les vivre enfin.
Deux ans après le début de ma thérapie, j’ai eu la crève. Un truc classique qui me coupait l’envie de fumer. Sauf que cette fois-ci, je refusais de reprendre encore une fois sans un élan clair. Mécaniquement, comme je l’avais toujours fait. Alors je me suis fixé une règle.
Une fois guéri, je ne fumerais que si j’en avais vraiment envie. Par plaisir uniquement.
Pendant trois semaines, mon paquet était bien en évidence sur le meuble. Je me souviens avoir eu deux ou trois fois un élan “plaisir”, mais pas suffisant pour y succomber. J’ai fini par jeter le paquet. Et je n’ai plus jamais fumé.
Quand je le racontais autour de moi, je disais que j’avais “apaisé la raison profonde qui avait généré le besoin de clope”. Je n’ai jamais su quelle était précisément cette raison. Mais le processus était clair.
La clope comme stratégie de survie n’avait plus lieu d’être, parce qu’il n’y avait plus de danger.
Tout ce qu’il restait à faire ensuite, c’était de prendre la décision. Ou plutôt de la conscientiser. Car sur un plan global elle était déjà prise.
Pour apaiser mes peurs, j’avais dû évoluer d’un paradigme intérieur “mécanique” à quelque chose de bien plus vivant, dans lequel le plaisir et l’envie avaient trouvé leur place. Dans ce nouveau système, le choix de continuer à fumer uniquement par habitude n’avait plus de sens.
(c) Jyotirmoy Gupta
Je partage mon propre processus non pas pour qu’il serve de modèle — chacun vivra le sien à sa manière — mais plutôt pour illustrer un principe clé : l’addiction à la clope n’est pas un facteur isolé qu’on peut annuler ou remplacer à l’envi. Elle fait partie d’un système global dans lequel elle a du sens, une raison d’être.
De fait, un apaisement du besoin de clope implique forcément un changement d’ordre plus global.
Mes années de cheminement intérieur et ma pratique de coach m’ont permis de voir que ce changement peut en fait s’effectuer dans deux directions. Du global vers le spécifique ou du spécifique vers le global. C’est un point fondamental à comprendre.
Quand on guérit un trauma racine — le figement le plus ancien dans la vie de la personne — tous les circuits neuronaux qui en découlent vont se transformer également. Si la clope est contenue quelque part sur ce circuit, son rôle sera de fait grandement remis en question.
Mais il est également possible de faire le chemin dans l’autre sens. Partir du présent, dans ce cas l’envie irrépressible de fumer, pour remonter le circuit et avoir ainsi accès à aux blocages profonds.
C’est un peu comme la branche d’un arbre qu’on pourrait visiter en partant de sa base jusqu’au bourgeon le plus récent, ou inversement.
En thérapie clinique, on aura plutôt tendance à faire le chemin n°1 (je schématise, parce qu’en réalité ce sera plutôt des aller-retours entre l’un et l’autre).
L’idée sera de comprendre et de contenir l’évolution de la personne dans son ensemble. On traitera le symptôme — l’addiction à la clope — comme un élément essentiel du système, et sa disparition comme le marqueur d’une transformation profonde. La démarche pour sortir de l’addiction sera donc de ne pas se focaliser dessus, mais d’aller plutôt défricher les traumas profonds pour mieux aider la personne à les guérir.
Cette forme d’accompagnement n’est pas mon métier, mais je suis la preuve vivante qu’elle est efficace. Par contre, elle peut prendre du temps et exige un grand lâcher-prise. Une grande confiance dans son rythme naturel. On ne sait jamais vraiment ce qui va lâcher en premier, ni quand ni comment. On sait simplement que ça arrive quand c’est juste.
Les personnes plus pressées, ou moins enclines à s’explorer en totalité, pourront se tourner vers le coaching, l’hypnose ou certaines formes de thérapies brèves.
Ici au contraire, on pourra partir de l’addiction. L’aborder directement comme une porte d’entrée vers les causes plus profondes dont elle dépend. Pour ça, on aidera la personne à sortir du choix binaire entre succomber ou lutter. Dans mon approche du coaching, je privilégierai deux options.
La première est une invitation à vivre pleinement l’urgence de fumer lorsqu’elle se présente. Si comme je le disais plus haut, cette urgence sert de protection, l’explorer sans y succomber permet de laisser émerger naturellement ce qui se trame derrière l’écran de fumée. Pour ça on part de la sensation dans le corps et on la laisse exister, évoluer, sous forme de nouvelles sensations, d’émotions, de pensées et d’images.
La seconde est l’exploration de la résistance à l’arrêt de la clope. Pour ça, je proposerai un dialogue entre deux parts intérieures — la part qui souhaite arrêter de fumer et celle qui souhaite continuer — avec l’intention de les aider à s’aligner. C’est un processus riche en informations qui permet à minima de décaler le regard sur l’addiction et de faire la paix quant à son rôle sur un plan plus global.
Très complémentaires, l’une et l’autre options peuvent être utilisées en séquences. Mon rôle est de guider le processus par mes questions, ma présence, et de contenir ce qui émerge.
Par contre, même si cette approche est plus directe, on reste soumis exactement aux mêmes lois que sur des thérapies plus longues. On ne contrôle pas ce qui émerge, ni la capacité de la personne à accueillir les raisons profondes associées à l’addiction. C’est pourquoi aucun praticien ne peut vous garantir un résultat. Tout ce qu’il peut vous promettre, c’est une façon de cheminer vers vous-même.
Je le répète, l’addiction à la clope a une fonction. C’est une stratégie de survie. Ce qui explique pourquoi il est si douloureux et improductif d’arrêter par la force. Reconnaître cette fonction permet de se concentrer sur la vraie question, qui n’est pas “comment arrêter ?” mais plutôt :
De quoi je me protège en fumant ?
La réponse sera propre à chacun, tout autant que le processus pour diminuer la sensation de danger. Certains (comme moi) entameront un long chemin intérieur sans savoir quand ni comment ils arrêteront de fumer, et seront surpris de se voir prendre la décision en deux semaines. D’autres préfèreront une approche plus ciblée, peut-être pour se rendre compte que ce n’est pas encore le moment de faire face au danger. Mais pendant ce temps, un autre chemin aura été parcouru, plus juste et prioritaire pour eux. Toutes les configurations sont possibles.
La seule constante, c’est qu’on ne contrôle pas le moment où ça lâche.
Si la décision d’arrêter de fumer est un élément essentiel pour jeter son paquet, on ne guérit pas de l’addiction parce qu’on le décide.
C’est l’inverse qui se passe.
C’est lorsque la décision se manifeste que l’on sait qu’on est guéri. Que la bonne branche de l’arbre a trouvé l’apaisement, pour laisser place à un fonctionnement global dans lequel fumer n’a plus de raison d’être.
Articles connexes :
Une analyse psychologique de la série The Flight Attendant (saison 1) et du chemin de guérison intérieure de son personnage principal.
Comment mesurer une transformation, éclairer les non-dits et enrichir un projet à l’aide du photolangage.
Contourner la critique, c’est se priver en même temps de toute véritable adhésion.
De votre rôle de dirigeant(e)
De votre vie en équipe